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spective dont on jouit à travers les brèches du grand mur de la scène, et aussi par ses terribles souvenirs. Là furent égorgés, dans la première guerre servile, des milliers d’esclaves révoltés. C’est bien le premier théâtre du monde ; celui d’Orange n’est que le second, bien que l’état de conservation qui nous étonne dans celui de Taormina soit dû en partie à des restaurations faites au xviiie siècle. La beauté de ces grandes cuves, quand elles étaient remplies par la foule, devait être quelque chose d’enivrant. Un orchestre placé sur le proscenium, et jouant piano, s’entendait bien sur les gradins les plus élevés ; la voix humaine au contraire y parvenait indistincte. Je ne crois pas que de pareilles enceintes servissent habituellement aux exercices de littérature. Si les conférences ont une place dans l’archéologie sicilienne, je la trouverais bien plutôt à Syracuse, dans ce petit édifice où l’on a vu à tort des bains, et qui peut-être s’expliquerait mieux par une sorte de gymnase littéraire.

La ville même de Taormina, conservée sans rajeunissement depuis des siècles, et à vrai dire impossible à rajeunir à cause de son site escarpé, ne doit point être négligée. Il ne faut pas, comme on le fait souvent, s’en tenir au théâtre ; il faut pénétrer dans ces rues étroites et pittoresques, où l’imprévu se rencontre à chaque pas. De superbes échappées sur la mer, des souvenirs d’histoires tragiques, de charmants détails d’architecture ogivale, vous retiendront par un charme puissant. Le chemin de fer est au pied ; en une heure, vous serez à Messine, c’est-à-dire au seuil de la Sicile, au croisement de toutes les grandes voies de la Méditerranée.

La ville éclairée de Messine et son active université ne