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min à ses compagnons. Le Sicilien ne se soucie pas de savoir si on le regarde ; il agit pour sa satisfaction propre. L’idée de se surveiller pour éviter un prétendu ridicule ne vient qu’à des gens qui ne sont pas sûrs de leur noblesse historique, et qui n’ont pas toujours conscience d’obéir à un entraînement élevé.

En une nuit et une matinée, l’Archimède nous eut portés à Syracuse. La ville actuelle n’occupe plus que l’île d’Ortygie, la plus petite des parties de l’ancienne cité. Achradine, Néapolis, Tyché, les Épipoles sont occupés par des champs ou des jardins. Tout cela faisait une enceinte qui égalait presque celle de Paris avant les fortifications. Au premier coup d’œil, on dirait que les monuments antiques de Syracuse ont disparu ; une étude attentive révèle bientôt tout un monde. Quel temple savamment restauré vaut cette cathédrale bâtie dans un temple dorique des plus nobles proportions ? La transformation s’est faite d’une manière étrange. La cella a été supprimée, les colonnades ont été embloquées dans un mur qui embrasse les fûts, les chapiteaux, l’architrave, visibles encore, quoiqu’en partie noyés dans le moellon. Je ne connais pas d’autre exemple de ce genre d’appropriation chrétienne. Souvent la cella a été transformée en église, comme cela eut lieu au Parthénon. À Aphrodisias en Carie, on a bâti deux murs extérieurs au péristyle, si bien que les colonnades devinrent intérieures, et dessinèrent trois nefs comme à Sainte-Marie-Majeure. Ici, le mur a été fait sur la colonnade elle-même. L’architrave est conservée ; à certains endroits, les triglyphes font créneau sur l’architrave. J’ai vu peu d’effets d’un pittoresque aussi complet. Cette fois encore.