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pas demander à des populations longtemps mal gouvernées l’ordre et le respect de la loi, qui sont le résultat d’une longue habitude de paix et de régularité. La vendetta est au fond de la plupart de ces méfaits. Chez des populations ardentes, pour lesquelles la garantie de l’État a été nulle durant des siècles, la vengeance privée se présente comme une sorte de devoir. Nul ne doit se faire justice à soi-même : cela est facile à dire dans des sociétés où le gouvernement se charge très-réellement d’une mission de justice et de protection. Mais une telle abdication du droit de la défense personnelle eût paru une amère dérision avec les gouvernements que la Sicile a eus durant six cents ans. Une autre source d’actes regrettables est le sentiment plus fier que légal avec lequel le tenancier entend ses droits à l’égard du propriétaire. Les exigences de celui-ci vont souvent se briser contre une idée de la propriété qui a été celle du passé et n’est plus celle de notre temps. Le chef féodal n’était pas un propriétaire comme celui qui de nos jours achète une terre ; dans beaucoup de pays, ses vassaux étaient ses copropriétaires. Blessé dans une prétention instinctive, à laquelle sa fierté ne peut renoncer, le tenancier va jusqu’à l’assassinat sur le régisseur, et, à partir de ce moment, devient un homme hors la loi. Un fait que nous avons pu observer, c’est que les grands propriétaires nobles qui traitent leurs fermiers selon les anciens usages peuvent traverser la Sicile sans rencontrer autre chose que la sympathie et le respect. Une autre génération se pliera mieux aux exigences nouvelles. Les chemins de fer surtout amèneront une transformation complète dans l’état de la Sicile. Nul pays n’en a plus besoin, car c’est un