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des intérêts opposés à ceux de tout le reste, la haine est inévitable. Or, les chrétiens désiraient, au fond, que tout allât pour le plus mal. Loin de faire cause commune avec les bons citoyens et de chercher à conjurer les dangers de la patrie, les chrétiens en triomphaient. Les montanistes, la Phrygie tout entière, allaient jusqu’à la folie dans leurs haineuses prophéties contre l’empire. On pouvait se croire revenu aux temps de la grande Apocalypse de 69. Ces sortes de prophéties étaient un crime prévu par la loi[1] ; la société romaine sentait instinctivement qu’elle s’affaiblissait ; elle n’entrevoyait que vaguement les causes de cet affaiblissement ; elle s’en prenait, non sans quelque raison, au christianisme. Elle se figurait qu’un retour aux anciens dieux ramènerait la fortune. Ces dieux avaient fait la grandeur de Rome ; on les supposait irrités des blasphèmes des chrétiens. Le procédé pour les apaiser n’était-il pas de tuer les chrétiens ? Sans doute ceux-ci ne s’interdisaient pas les railleries sur l’inanité des sacrifices et des moyens qu’on employait pour conjurer les fléaux. Qu’on se figure, en Angleterre, un libertin éclatant de rire en public un jour de jeûne et de prière ordonné par la reine !

D’atroces calomnies, des railleries sanglantes,

  1. Paul, Sent., V, xxi, § 1 ; Hænel, Corpus legum, p. 121.