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philosophe eût consenti à ces vaines formalités, et cela suffisait pour qu’on ne les lui demandât pas.

Tous les pasteurs, tous les hommes graves détournaient les fidèles d’aller s’offrir eux-mêmes au martyre[1] ; mais on ne pouvait commander à un fanatisme qui voyait dans la condamnation le plus beau des triomphes et dans les supplices une manière de volupté. En Asie, cette soif de la mort était contagieuse et produisait des phénomènes analogues à ceux qui, plus tard, se développèrent sur une grande échelle chez les circoncellions d’Afrique. Un jour le proconsul d’Asie, Arrius Antoninus[2], ayant ordonné de rigoureuses poursuites contre quelques chrétiens, vit tous les fidèles de la ville se présenter en masse à la barre de son tribunal, réclamant le sort de leurs coreligionnaires élus pour le martyre ; Arrius Antoninus, furieux, en fit conduire un petit nombre au supplice et renvoya les autres en leur disant : « Allez-vous-en, misérables ! Si vous tenez tant à mourir, vous avez des précipices, vous avez des cordes[3]. »

Quand, au sein d’un grand État, une faction a

  1. Voir, par exemple, Clém. d’Alex., Strom., IV, 9, 10. Notez surtout le passage très sensé d’Héracléon, cité par Clément. Mémoires de M. Le Blant, Acad. des inscr., t. XXVIII, 1re et 2e partie.
  2. Vers l’an 184 ou 185. Waddington, Fastes, p. 239-241.
  3. Tertullien, Ad Scap., 5. Comp. Actes de saint Cyprien, §§ 4 et 5 (Acta sinc., p. 217).