Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.

martyrs. Mais un trait le choqua, ce fut leur air de triomphe, leur façon d’aller spontanément au-devant de la mort. Cette bravade contre la loi lui parut mauvaise ; comme chef d’État, il y vit un danger. Le stoïcisme, d’ailleurs, enseignait non pas à chercher la mort, mais à la supporter. Épictète n’avait-il pas présenté l’héroïsme des « Galiléens » comme l’effet d’un fanatisme endurci[1] ? Ælius Aristide s’exprime à peu près de la même manière[2]. Ces morts voulues parurent à l’auguste moraliste des affectations aussi peu raisonnables que le suicide théâtral de Pérégrinus. On trouva cette note dans son carnet de pensées : « Disposition de l’âme toujours prête à se séparer du corps, soit pour s’éteindre, soit pour se disperser, soit pour persister. Quand je dis prête, j’entends que ce soit par l’effet d’un jugement propre, non par pure opposition[3], comme chez les chrétiens ; il faut que ce soit un acte réfléchi, grave, capable de persuader les autres, sans mélange de faste tragique[4]. » Il avait raison ; mais le vrai libéral doit tout refuser aux fanatiques, même le plaisir d’être martyrs.

  1. Arrien, Epict. Dissert., IV, vii, 6.
  2. Orat., xlvi, p. 402 et suiv.
  3. Μὴ κατὰ ψιλὴν παράταξιν, ὡς οἱ χριστιανοί. Pensées, XI, 3. Comp. la lettre de Pline, pervicaciam et inflexibilem obstinationem. Voir aussi Galien, De puls. diff., II, 4 ; III, 3.
  4. Ἀτραγῴδως.