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pendant cinq ou six siècles, les conciles sont occupés à combattre les anciennes superstitions naturalistes ; mais les purs se virent débordés. Saint Grégoire le Grand en prend son parti et conseille aux missionnaires[1] de ne pas supprimer les rites et les lieux saints des Anglo-Saxons, mais seulement de les consacrer au culte nouveau.

Ainsi arriva un phénomène singulier : la végétation touffue de fables et de croyances païennes que le christianisme primitif se croyait appelé à détruire se conserva en grande partie. Loin de réussir, comme l’islam, à supprimer « les temps de l’ignorance », c’est-à-dire les souvenirs antérieurs, le christianisme laissa vivre presque tous ces souvenirs, en les dissimulant sous un léger vernis chrétien. Grégoire de Tours est aussi superstitieux qu’Élien ou Ælius Aristide. Le monde, aux vie, viie, viiie, ixe, xe siècles, est plus grossièrement païen qu’il ne l’a jamais été. Jusqu’aux progrès de l’instruction primaire de nos jours, nos paysans n’avaient pas abandonné un seul de leurs petits dieux gaulois. Le culte des saints a été le couvert sous lequel s’est rétabli le polythéisme. Cet envahissement de l’esprit idolâtrique a tristement déshonoré le catholicisme moderne. Les folies de

  1. Greg. papæ Epist., XI, 71 (76).