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changé. Les préceptes de dévouement et d’abnégation évangéliques devinrent inapplicables ; on en fit des conseils, destinés uniquement à ceux qui aspiraient à la perfection. Et cette perfection, où pouvait-elle se réaliser ? Le monde, tel qu’il est fait, l’exclut absolument ; celui qui, dans le monde, pratiquerait l’Évangile à la lettre, jouerait le rôle d’une dupe et d’un idiot. Reste le monastère. La logique reprenait ses droits. La morale chrétienne, morale de petite Église et de gens retirés du monde, se créait le milieu qui lui était nécessaire. L’Évangile devait aboutir au couvent ; une chrétienté ayant ses organismes complets ne peut pas se passer de couvents[1], c’est-à-dire d’endroits où la vie évangélique, impossible ailleurs, puisse se pratiquer. Le couvent est l’Église parfaite ; le moine est le vrai chrétien[2]. Aussi les œuvres les plus efficaces du christianisme ne sont-elles exécutées que par les ordres monastiques. Ces ordres, loin d’être une lèpre qui serait venue attaquer par le dehors l’œuvre de Jésus, étaient les conséquences internes, inévitables, de l’œuvre de Jésus. En Occident, ils eurent plus d’avantages que d’in-

  1. L’Angleterre et l’Amérique échappent à cette nécessité par leurs petites congrégations, qui sont presque des couvents à leur manière.
  2. Voir surtout la Vie de saint Martin.