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considérablement. Des pays, comme la Syrie, où le confortable ne rapporte pas autant de jouissance qu’il coûte de peine, et où l’esclavage est ainsi une condition de la civilisation matérielle, furent abaissés d’un degré dans l’échelle humaine. Les ruines antiques y restèrent comme les vestiges d’un monde disparu et incompris. Les joies de l’autre vie, non acquises par le travail, furent autant de pris sur ce qui porte l’homme à l’action. L’oiseau du ciel, le lis ne labourent ni ne sèment, et cependant ils occupent par leur beauté un rang de premier ordre dans la hiérarchie des créatures. Grande est la joie du pauvre quand on vient ainsi lui annoncer le bonheur sans travail. Le mendiant à qui vous dites que le monde va être à lui, et que, passant sa vie à ne rien faire, il est un noble dans l’Église, si bien que ses prières sont de toutes les plus efficaces, ce mendiant-là devient vite dangereux. On l’a vu dans le mouvement des derniers messianistes de Toscane. Les paysans endoctrinés par Lazaretti, ayant perdu l’habitude du travail, ne voulurent plus reprendre leur vie habituelle. Comme en Galilée, comme dans l’Ombrie du temps de François d’Assise, le peuple s’imagina conquérir le ciel par la pauvreté. Après de tels rêves, on ne se résigne pas à reprendre le joug. On se fait apôtre, plutôt que de reprendre la chaîne qu’on avait