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ruine[1]. Le chrétien ne se réjouit pas des victoires de l’empire ; les désastres publics lui paraissent une confirmation des prophéties qui condamnent le monde à périr par les barbares et par le feu[2]. Le cosmopolitisme des stoïciens[3] avait bien aussi ses dangers ; mais un ardent amour de la civilisation et de la culture grecque servait de contrepoids aux excès de leur détachement.

À beaucoup d’égards, certainement, les chrétiens étaient des sujets loyaux. Ils ne se révoltaient jamais ; ils priaient pour leurs persécuteurs. Malgré leurs griefs contre Marc-Aurèle, ils ne prirent aucune part à la révolte d’Avidius Cassius. Ils affectaient les principes du légitimisme le plus absolu. Dieu donnant la puissance à qui il lui plaît, il faut obéir sans examen à celui qui la possède officiellement. Mais cette apparente orthodoxie politique n’était au fond que le culte du succès. « Il n’y a jamais eu parmi nous de partisan d’Albin, de partisan de Niger », dit avec ostentation Tertullien[4], sous le

  1. Épître à Diogn., 6.
  2. Lire la plaisante scène du Philopatris. À partir de la fin du ive siècle, les choses changent. L’empire est devenu chrétien, et mourir pour lui, c’est mourir pour l’Église. Le Blant, le Détachement de la patrie, p. 23-25.
  3. Zénon, Chrysippe, Sénèque, Épictète, Marc-Aurèle, surtout Épictète, Diss., I, 9 ; II, 10 ; III, 24 ; Plut., De fort. Alex., 6.
  4. Tertullien, Ad Scap., 2.