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patriotique, il détruisit le monde ancien. La cité et l’État ne s’accommoderont plus tard avec le christianisme qu’en faisant subir à celui-ci les plus profondes modifications.

« Ils habitent sur la terre, dit l’auteur de l’Épître à Diognète[1] ; mais, en réalité, ils ont leur patrie au ciel. » Effectivement, quand on demande au martyr sa patrie : « Je suis chrétien », répond-il[2]. La patrie et les lois civiles, voilà la mère, voilà le père, que le vrai gnostique, selon Clément d’Alexandrie[3], doit mépriser pour s’asseoir à la droite de Dieu. Le chrétien est embarrassé, incapable quand il s’agit des affaires du monde[4] ; l’Évangile forme des fidèles, non des citoyens. Il en fut de même pour l’islamisme et le bouddhisme. L’avènement de ces grandes religions universelles mit fin à la vieille idée de patrie ; on ne fut plus Romain, Athénien ; on fut chrétien, musulman, bouddhiste. Les hommes désormais vont être rangés d’après leur culte, non d’après leur

  1. Ἐπὶ γῆς διατρίϐουσιν, ἀλλ’ ἐν οὐρανῷ πολιτεύονται. Cf. Tert., Apol., 38, et l’uranopolis des stoïciens. Clém. d’Alex., Strom., IV, xxvi, fin.
  2. Actes de saint Pione, § 18 ; Le Blant, Inscr., I. p. 122-123 ; Man. d’épigr. chrét., p. 5-8 ; Jean Chrys., Homil. in sanctum Lucianum, Montf., II, p. 528.
  3. Clém. d’Alex., Strom., IV, 4.
  4. Infructuosi in negociis dicimur. Tertullien, Apol., 42, Cf. Ælius Aristide, Opp., II, p. 403, édit. Dindorf.