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fallait que cela se dît sous forme populaire, c’est-à-dire religieuse. Les mouvements religieux ne se font que par des prêtres[1]. La philosophie avait trop raison. La récompense qu’elle offrait n’était pas assez tangible. Le pauvre, la personne sans instruction, qui ne pouvaient approcher d’elle, étaient en réalité sans religion, sans espérance. L’homme est né si médiocre, qu’il n’est bon que quand il rêve. Il lui faut des illusions pour qu’il fasse ce qu’il devrait faire par amour du bien. Cet esclave a besoin de crainte et de mensonges pour accomplir son devoir. On n’obtient des sacrifices de la masse qu’en lui promettant qu’elle sera payée de retour. L’abnégation du chrétien n’est, après tout, qu’un calcul habile, un placement en vue du royaume de Dieu.

La raison aura toujours peu de martyrs. On ne se dévoue que pour ce qu’on croit ; or ce qu’on croit, c’est l’incertain, l’irrationnel ; on subit le raisonnable, on ne le croit pas. Voilà pourquoi la raison ne pousse pas à l’action ; elle pousse plutôt à l’abstention. Aucune grande révolution ne se produit dans l’humanité sans idées très arrêtées, sans préjugés,

    II, 28. Puras Deus non plenas aspicit manus. Publius Syrus. Voir surtout le beau passage de Galien, De usu partium, III, 10 (t. III, p. 237, Kuhn).

  1. Les anciens l’avaient très bien aperçu. Strabon, I, ii, 8 ; Maxime de Tyr, dissert. x.