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serraient autour du pouvoir présentait un aspect très vénérable ; l’empereur les envisageait moins comme des maîtres ou des amis que comme des frères, qui lui étaient associés dans le gouvernement. Les philosophes, comme l’avait rêvé Sénèque, étaient devenus un pouvoir de l’État, une institution constitutionnelle en quelque sorte, un conseil privé dont l’influence sur les affaires publiques était capitale.

Ce curieux phénomène, qui ne s’est vu qu’une fois dans l’histoire, tenait certainement au caractère de l’empereur ; mais il tenait aussi à la nature de l’empire et à la conception romaine de l’État, conception toute rationaliste, où ne se mêlait aucune idée théocratique. La loi était l’expression de la raison ; il était donc naturel que les hommes de la raison arrivassent un jour ou l’autre au pouvoir. Comme juges des cas de conscience, les philosophes avaient un rôle en quelque sorte légal[1]. Depuis des siècles, la philosophie grecque faisait l’éducation de la haute société romaine : presque tous les précepteurs étaient grecs ; l’éducation se faisait toute en grec[2]. La Grèce ne compte pas de plus belle victoire que celle qu’elle

  1. Aulu-Gelle, XIV, 2. On en a des exemples même sous Domitien, Corresp. de Pline et de Trajan, lviii (lvi), affaire d’Archippe.
  2. Quintilien, I, i, 3 ; Lucien, De mercede conductis, 24, 40.