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les soldats le 19 mars 235. Il fut clair que l’armée ne pouvait plus souffrir que des tyrans. L’empire était tombé successivement de la haute noblesse romaine aux officiers de province ; maintenant, il passe aux sous-officiers et aux soldats assassins. Tandis que, jusqu’à Commode, les empereurs tués sont des monstres intolérables, à présent, c’est le bon empereur, celui qui veut ramener quelque discipline, celui qui réprime les crimes de l’armée, qui est sûrement désigné pour la mort.

Alors s’ouvre cet enfer d’un demi-siècle (235-284), où sombre toute philosophie, toute civilité, toute délicatesse. Le pouvoir à l’encan, la soldatesque maîtresse de tout, par moments dix tyrans à la fois, le barbare pénétrant par toutes les fissures d’un monde lézardé, Athènes démolissant ses monuments anciens pour s’entourer de mauvais murs contre la terreur des Goths. Si quelque chose prouve combien l’empire romain était nécessaire par raison intrinsèque, c’est qu’il ne se soit pas totalement disloqué dans cette anarchie, c’est qu’il ait gardé assez de souffle pour revivre sous la puissante action de Dioclétien et fournir encore une course de deux siècles. Dans tous les ordres, la décadence est effroyable. En cinquante ans, on a oublié de sculpter[1]. La littérature latine cesse com-

  1. Voir les séries de bustes d’empereurs. Les bustes d’A-