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un penseur de cette école devant les problèmes sociaux du xixe siècle, par quel art il parviendrait à les tourner, à les endormir, à les éluder ou à les résoudre. Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’homme appelé à gouverner ses semblables devra toujours méditer sur le modèle exquis de souverain que Rome offrit en ses meilleurs jours. S’il est vrai qu’il soit possible de le dépasser en certaines parties de la science du gouvernement, qui n’ont été connues que dans les temps modernes, le fils d’Annius Verus restera toujours inimitable par sa force d’âme, sa résignation, sa noblesse accomplie et la perfection de sa bonté.

Le jour de la mort de Marc-Aurèle peut être pris comme le moment décisif où la ruine de la vieille civilisation fut décidée. En philosophie, le grand empereur avait placé si haut l’idéal de la vertu, que personne ne devait se soucier de le suivre ; en politique, faute d’avoir séparé assez profondément les devoirs du père de ceux du césar, il rouvrit, sans le vouloir, l’ère des tyrans et celle de l’anarchie. En religion, pour avoir été trop attaché à une religion d’État, dont il voyait bien la faiblesse, il prépara le triomphe violent du culte non officiel et il laissa planer sur sa mémoire un reproche, injuste, il est vrai, mais dont l’ombre même ne devrait pas se rencontrer dans une vie si pure. En tout, excepté dans les lois,