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encore aujourd’hui. Oui, tous tant que nous sommes, nous portons au cœur le deuil de Marc-Aurèle, comme s’il était mort d’hier. Avec lui, la philosophie a régné. Un moment, grâce à lui, le monde a été gouverné par l’homme le meilleur et le plus grand de son siècle. Il est important que cette expérience ait été faite. Le sera-t-elle une seconde fois ? La philosophie moderne, comme la philosophie antique, arrivera-t-elle à régner à son tour ? Aura-t-elle son Marc-Aurèle entouré de Fronton et de Junius Rusticus ? Le gouvernement des choses humaines appartiendra-t-il encore une fois aux plus sages ? Qu’importe, puisque ce règne serait d’un jour, et que le règne des fous y succéderait sans doute une fois de plus ? Habituée à contempler d’un œil souriant l’éternel mirage des illusions humaines, la philosophie moderne sait la loi des entraînements passagers de l’opinion. Mais il serait curieux de rechercher ce qui sortirait de tels principes, si jamais ils arrivaient au pouvoir. Il y aurait plaisir à construire à priori le Marc-Aurèle des temps modernes, à voir quel mélange de force et de faiblesse créerait, dans une âme d’élite appelée à l’action la plus large, le genre de réflexion particulier à notre âge. On aimerait à voir comment la critique saurait s’allier à la plus haute vertu et à l’ardeur la plus vive pour le bien, quelle attitude garderait