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pas une souveraine injustice pour l’homme vertueux, il se les donne ; il va jusqu’au sophisme afin d’absoudre la Providence et de prouver que l’homme, en mourant, doit être satisfait.


Le temps que dure la vie de l’homme n’est qu’un point ; son être est dans un flux perpétuel ; ses sensations sont obscures[1]. Son corps, composé d’éléments divers, tend de lui-même à la corruption ; son âme est un tourbillon ; son destin est une énigme insoluble ; la gloire est une indéterminée. En un mot, tout ce qui regarde le corps est un fleuve qui s’écoule ; tout ce qui regarde l’âme n’est que songe et fumée ; la vie est un combat, un séjour en pays étranger ; la renommée posthume, c’est l’oubli. Qui peut donc nous servir de guide ? Une chose, une seule chose, c’est la philosophie. Et la philosophie, c’est de faire en sorte que le génie qui est en nous reste pur de toute souillure, plus fort que les plaisirs ou les souffrances,… acceptant les événements et le sort comme des émanations de la source d’où il vient lui-même, enfin attendant d’une humeur sereine la mort, qu’il prend pour la simple dissolution des éléments dont tout être vivant est composé. Si, pour les éléments eux-mêmes, ce n’est point un mal que de subir de perpétuelles métamorphoses, pourquoi regarder avec tristesse le changement et la dissolution de toutes choses ? Ce changement est conforme aux lois de la nature, et rien n’est mal de ce qui est conforme à la nature.


Ainsi, à force d’analyser la vie, il la dissout, il la rend peu différente de la mort. Il arrive à la parfaite

  1. Pensées, II, 17. Comp. IV, 3, 5.