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où même mes compagnons de route, pour qui j’ai tant lutté, fait tant de vœux, pris tant de peine, désirent que je m’en aille, espérant que ma mort les mettra plus à l’aise. » Quel motif pourrait donc nous faire souhaiter de demeurer plus longtemps ici ?

Ne va pas, toutefois, en partant, montrer moins de bienveillance pour eux ; conserve à leur égard ton caractère habituel ; reste affectueux, indulgent, doux, et ne prends pas l’air d’un homme qui se fait tirer pour sortir… C’est la nature qui avait formé ton lien avec eux. Voici qu’elle le rompt. Eh bien, adieu, amis, je m’en vais sans qu’il soit besoin d’employer la force pour m’arracher du milieu de vous ; car cette séparation même n’a rien que de conforme à la nature[1].


Les derniers livres des Pensées se rapportent à cette époque, où Marc-Aurèle, resté seul avec sa philosophie, que personne ne partage plus, n’a qu’une pensée, celle de sortir tout doucement du monde. C’est la même mélancolie que dans la philosophie de Carnonte[2] ; mais l’heure de la vie du penseur est bien autre. À Carnonte et sur les bords du Gran, Marc-Aurèle médite pour se rendre fort dans la vie. Maintenant, toute sa pensée n’est plus qu’une préparation à la mort[3], un exercice spirituel pour arriver paré comme il faut à l’autel. Tous les motifs par lesquels on peut chercher à se persuader que la mort n’est

  1. Pensées, X, 36.
  2. Ibid., livre II.
  3. Ibid., XII, 1.