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Quand il n’est pas excellent, il est exécrable. Atroce au ier siècle de notre ère, tandis qu’on poursuit une loi de demi-hérédité, le césarisme devint splendide au iie, quand le principe de l’adoption l’eut définitivement emporté. La décadence commença le jour où, par une faiblesse pardonnable puisqu’elle était inévitable, le meilleur des princes que l’adoption eût portés à l’empire ne suivit pas un usage qui avait donné pour chefs à l’humanité la plus belle série de bons et grands souverains qu’elle ait jamais eue. Pour comble de malheur, il ne réussit pas à fonder l’hérédité. Pendant tout le iiie siècle, l’empire fut aux enchères de l’intrigue et de la violence. Le monde antique y succomba.

Pendant des années, Marc-Aurèle supporta ce supplice, le plus cruel que le sort ait infligé à un homme de cœur. Ses amis d’enfance et de jeunesse n’étaient plus. Tout ce monde excellent, formé par Antonin, cette société sérieuse et distinguée qui croyait si profondément à la vertu, était descendue dans la tombe. Resté seul au milieu d’une génération qui ne le comprenait plus et désirait même être débarrassée de lui[1], à côté d’un fils qui l’abreuvait de douleur, il n’avait devant lui que l’horrible perspective d’être

  1. Pensées, IX, 3 ; X, 36.