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Un martyre bien plus dur fut infligé à Marc-Aurèle en la personne de son fils Commode. La nature, par un jeu cruel, avait donné pour fils au meilleur des hommes une sorte d’athlète stupide, uniquement propre aux exercices du corps, un superbe garçon boucher, féroce, n’aimant qu’à tuer. Sa nullité d’esprit lui inspira la haine du monde intelligent qui entourait son père ; il tomba entre les mains de goujats de bas étage qui firent de lui un des monstres les plus odieux qui aient jamais existé. Marc-Aurèle voyait mieux que personne l’impossibilité de tirer quelque chose de cet être borné, et néanmoins il ne négligea rien pour le bien élever. Les meilleurs philosophes dissertaient devant l’adolescent[1]. Lui, il écoutait, à peu près comme ferait un jeune lion qu’on doctrinerait et qui laisserait dire, en bâillant et en montrant de longues dents à ses maîtres. Marc-Aurèle fut égaré dans cette affaire par son manque de finesse pratique. Il ne sortit pas de ses phrases habituelles sur la bienveillance qu’il faut porter dans les jugements et sur les égards qu’on doit à ceux qui sont moins bons que nous[2]. Les neuf motifs d’indulgence qu’il se fait valoir à lui-même

  1. Lampride, Commode, 1.
  2. Voir Pensées, IX, 22, surtout XII, 16, une des pensées où la bonté est exagérée jusqu’à la fausseté.