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tole, pendant que Faustine est enlevée au ciel par une Renommée, l’excellent empereur la suit de terre avec un regard plein d’amour. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que, dans sa belle prière intime aux dieux, qu’il écrivit sur les bords du Gran, il les remercie de lui avoir donné « une femme si complaisante, si affectueuse et si simple[1] ». Il était arrivé, dans les derniers temps, à se faire illusion à lui-même et à tout oublier. Mais quelle lutte il dut traverser pour en arriver là ! Durant de longues années, une maladie intérieure le consuma lentement. L’effort désespéré qui fait l’essence de sa philosophie, cette frénésie de renoncement, poussée parfois jusqu’au sophisme, dissimulent au fond une immense blessure. Qu’il faut avoir dit adieu au bonheur pour arriver à de tels excès ! On ne comprendra jamais tout ce que souffrit ce pauvre cœur flétri, ce qu’il y eut d’amertume dissimulée par ce front pâle, toujours calme et presque souriant. Il est vrai que l’adieu au bonheur est le commencement de la sagesse et le moyen le plus sûr pour trouver le bonheur. Il n’y a rien de doux comme le retour de joie qui suit le renoncement à la joie ; rien de vif, de profond, de charmant comme l’enchantement du désenchanté.

  1. Pensées, I, 17.