Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/487

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des prodiges de bonté et de délicatesse pour l’empêcher de faire des folies désastreuses. Le sage empereur, sérieux et appliqué, traînait avec lui dans sa litière le sot collègue qu’il s’était donné. Il le prit toujours obstinément au sérieux ; il ne se révolta pas une fois contre cet assommant compagnonnage. Comme les gens qui ont été très bien élevés, Marc-Aurèle se gênait sans cesse ; ses façons venaient d’un parti pris général de tenue et de dignité. Les âmes de cette sorte, soit pour ne pas faire de la peine aux autres, soit par respect pour la nature humaine, ne se résignent pas à avouer qu’elles voient le mal. Leur vie est une perpétuelle dissimulation.

Faustine fut, dans la vie du pieux empereur, une bien autre source de tristesse. La Providence qui veille à l’éducation des grandes âmes et travaille sans cesse à leur perfection lui prépara la plus pénible des épreuves, une femme qui ne le comprit pas. Elle commença, ce semble, par l’aimer ; peut-être même trouva-t-elle d’abord quelque bonheur dans cette villa de Lorium ou dans cette belle retraite de Lanuvium, sur les dernières pentes des monts Albains, que Marc-Aurèle décrit à Fronton comme un séjour plein des joies les plus pures[1]. Puis elle se fatigua de

  1. Frontonis Epist., p. 121, 125, 133, 135, 136, 141, 142, 151, 152, 153, 159, édit. Maï, 1823 (Naber, p. 80 et suiv.).