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sur l’explication du phénomène qu’il veut présenter comme surnaturel. Le christianisme et l’empire se regardaient l’un l’autre comme deux animaux qui vont se dévorer, sans se rendre compte des causes de leur hostilité. Quand une société d’hommes prend une telle attitude au sein de la grande société, quand elle devient dans l’État une république[1] à part, fût-elle composée d’anges, elle est un fléau. Ce n’est pas sans raison qu’on les détestait, ces hommes en apparence si doux et si bienfaisants. Ils démolissaient vraiment l’empire romain. Ils buvaient sa force ; ils enlevaient à ses fonctions, à l’armée surtout, les sujets d’élite. Rien ne sert de dire qu’on est un bon citoyen parce qu’on paie ses contributions, qu’on est aumônieux, rangé, quand on est en réalité citoyen du ciel et qu’on ne tient la patrie terrestre que pour une prison où l’on est enchaîné côte à côte avec des misérables. La patrie est chose terrestre ; qui veut faire l’ange est toujours un pauvre patriote. L’exaltation religieuse est mauvaise pour l’État. Le martyr a beau soutenir qu’il ne se révolte pas, qu’il est le plus soumis des sujets ; le fait d’aller au-devant des supplices[2], de mettre l’État dans l’alternative de persécuter ou de subir la loi de la théocratie est plus

  1. Πολιτεία. Ad Diogn., 5.
  2. Ad Diogn., 10, etc.