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rêves d’esprits agités ; ils ne s’attachent pas, comme tant d’autres, à des sectes portant le nom de tel ou tel ; mais, demeurant dans les villes grecques et barbares, selon que le sort les y a placés, se conformant aux coutumes locales pour les habits, le régime et le reste de la vie, ils étonnent tout le monde par l’organisation vraiment admirable de leur république. Ils habitent des patries particulières, mais à la façon de gens qui n’y sont que domiciliés ; ils participent aux devoirs des citoyens, et ils supportent les charges des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants ; mais jamais ils n’abandonnent leurs nouveau-nés. Ils mangent en commun, mais leur table pour cela n’est pas commune[1]. Ils sont engagés dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils demeurent sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et, par leurs principes de vie, ils s’élèvent au-dessus des lois. Ils aiment tout le monde, et ils sont persécutés par tout le monde, méconnus, condamnés. On les met à mort et, par là, on leur assure la vie. Ils sont pauvres et ils enrichissent les autres[2] ; ils manquent de tout et surabondent. Ils sont accablés d’avanies et, par l’avanie, ils arrivent à la gloire. On les calomnie et, l’instant d’après, on proclame leur justice ; injuriés, ils bénissent[3] ; ils répondent à l’insulte par le respect ; ne faisant que le bien, ils sont punis comme malfaiteurs ; punis, ils se réjouissent comme si on les gratifiait de la vie. Les juifs leur font la guerre comme

  1. C’est-à-dire qu’on n’y mange pas indifféremment de toutes choses. Voir Otto, p. 178-179 (3e édit.).
  2. Cf. II Cor., vi, 10.
  3. Cf. I Cor., iv, 12.