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martyre, le jeûne, le célibat sont choses excellentes ; mais on peut sans héroïsme être chrétien et bon chrétien.

Ce fut l’épiscopat qui, sans nulle intervention du pouvoir civil, sans nul appui des gendarmes ni des tribunaux, établit ainsi l’ordre au-dessus de la liberté dans une société fondée d’abord sur l’inspiration individuelle. Voilà pourquoi les ébionites de Syrie, qui n’ont pas l’épiscopat, n’ont pas non plus l’idée de catholicité. Au premier coup d’œil, l’œuvre de Jésus n’était pas née viable ; c’était un chaos. Fondée sur une croyance à la fin du monde, que les années, en s’écoulant, devaient convaincre d’erreur, la congrégation galiléenne semblait ne pouvoir que se dissoudre dans l’anarchie. La libre prophétie, les charismes, la glossolalie, l’inspiration individuelle, c’était plus qu’il n’en fallait pour tout ramener aux proportions d’une chapelle éphémère, comme on en voit tant en Amérique et en Angleterre. L’inspiration individuelle crée, mais détruit tout de suite ce qu’elle a créé. Après la liberté, il faut la règle. L’œuvre de Jésus put être considérée comme sauvée, le jour où il fut admis que l’Église a un pouvoir direct, un pouvoir représentant celui de Jésus[1]. L’Église dès

  1. Matth., xviii, 17-20.