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détresse, que ne connaît pas une nation libre, pas un royaume, pas même le degré infime de la superstition romaine ? Seule, la misérable nationalité juive honora ce dieu unique ; mais du moins elle l’honora ouvertement, avec des temples, des autels, des victimes, des cérémonies ; pauvre Dieu fini, détrôné, puisqu’il est maintenant captif des dieux romains avec sa nation[1]… La plus grande, la meilleure partie de vous souffre, vous l’avouez, de la misère, du froid, de la fatigue, de la faim, et votre Dieu le permet, le dissimule ! Ou il ne veut pas, ou il ne peut pas secourir les siens ; il est impuissant ou injuste[2].

Menaces, supplices, tourments, voilà votre sort ; la croix, il ne s’agit pas de l’adorer, mais d’y monter ; le feu que vous prédisez, que vous craignez, vous le subissez actuellement. Où est donc ce Dieu qui peut sauver ses serviteurs quand ils revivent, et ne peut rien pour eux pendant qu’ils vivent ? Est-ce par la grâce de votre Dieu que les Romains règnent, commandent, sont vos maîtres ? Et vous, pendant ce temps, toujours en soupçon et inquiets, vous vous abstenez des plaisirs honnêtes, vous désertez les fêtes, les banquets publics, les spectacles sacrés. Comme si vous redoutiez les dieux que vous niez, vous avez en horreur les viandes dont une part a été coupée pour le sacrifice, les boissons qui ont été prélibées. Vous n’entourez pas vos têtes de fleurs ; vous refusez les parfums à vos corps, les réservant pour les funérailles ; vous déniez même les couronnes aux tombeaux ; pâles, tremblants, dignes de pitié… Ainsi malheureux, vous ne ressuscitez pas, et, en attendant, vous ne vivez pas. Si donc vous avez quelque sagesse,

  1. Octav., §§ 9 et 10. Comparez Celse, dans Orig., V, 25, 41 ; VIII, 69.
  2. Octav., § 12.