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incertains. Par crainte de mourir après leur mort, ils ne craignent pas maintenant de mourir[1].


Ils se connaissent à des marques, à des signes secrets ; ils s’aiment presque avant de s’être connus. Puis la débauche devient la religion, le lien qui les enlace. Ils s’appellent sans distinction frères et sœurs, si bien que, par l’emploi de ce nom sacré, ce qui ne serait qu’adultère ou fornication devient inceste. C’est ainsi que cette vaine et folle superstition se glorifie de ses crimes. S’il n’y avait pas à ces récits un fond de vérité, il est impossible que le bruit public, toujours sagace, répandît sur leur compte tant de choses monstrueuses. J’entends dire qu’ils vénèrent la tête de la plus ignoble bête[2], rendue sacrée à leurs yeux par la plus inepte des persuasions ; digne religion, en vérité, et faite exprès pour de telles mœurs ! D’autres racontent… Sont-ce là des faussetés, je l’ignore ; ce sont au moins les soupçons que provoquent naturellement des rites occultes et nocturnes. Et, après tout, quand on leur attribue le culte d’un homme puni du dernier supplice pour ses méfaits, ainsi que la présence dans leurs cérémonies du bois sinistre de la croix, on ne fait que leur prêter les autels qui leur conviennent ; ils adorent ce qu’ils méritent.

Le tableau de l’initiation des néophytes est aussi connu qu’abominable. Un enfant, couvert de pâte et de farine, pour tromper ceux qui ne sont pas au courant, est placé devant celui qui doit être initié. On l’invite à frapper ; la croûte farineuse fait croire à tout ce qu’il y a de plus inno-

  1. Octav., § 8.
  2. L’âne, Cf. § 28. Cf. Celse, dans Orig., VII, 40 ; Tertullien, Apol., 16 ; Ad nat., I, 11, 14.