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vertu, mais privilégiée, si bien que le nombre est grand de ceux pour lesquels on se demande s’il faut détester leur méchanceté ou souhaiter pour soi leur fortune ? Si le monde était gouverné par une Providence supérieure et par l’autorité de quelque divinité, est-ce que Phalaris et Denys auraient mérité la couronne, Rutilius et Camille l’exil, Socrate le poison ? Voici des arbres couverts de fruits, une moisson, une vendange exubérantes ; la pluie gâte tout, la grêle casse tout ; tant il est vrai que la vérité est pour nous cachée, interdite, ou plutôt que le hasard sans loi règne seul au travers de l’infinie et insaisissable variété des cas[1].


Le tableau que Cæcilius, interprète des préjugés de la haute société romaine, fait des mœurs chrétiennes est des plus sombres. Ils ont raison de se cacher, ces sectaires : c’est qu’ils n’oseraient se montrer. Leurs réunions secrètes et nocturnes[2] sont des conventicules de plaisirs infâmes. Dédaignant tout ce qui est honorable, les sacerdoces, la pourpre, les honneurs publics, incapables de dire un mot dans les réunions respectables, ils se réfugient dans les coins pour dogmatiser[3]. Ces gens en haillons, à demi nus, ô comble de l’audace ! méprisent les tourments actuels par la croyance en des tourments futurs et

  1. Octavius, 5.
  2. « Nocturnis congregationibus (§ 8). » C’était un délit puni par la loi.
  3. « Latebrosa et lucifuga natio, in publicum muta, in angulis garrula (§ 8). » Comparez Celse, ci-dessus, p. 362-363.