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maines et de les prendre également en pitié. Cet homme, l’esprit à la fois le plus solide et le plus charmant de son temps, c’est Lucien.

Ici plus d’équivoque. Lucien rejette absolument le surnaturel[1]. Celse admet toutes les religions ; Lucien les nie toutes[2]. Celse se croit consciencieusement obligé d’étudier le christianisme dans ses sources ; Lucien, qui sait d’avance à quoi s’en tenir, n’en prend qu’une notion très superficielle. Son idéal est Démonax[3], qui, à l’inverse de Celse, ne fait pas de sacrifices, ne s’initie à aucun mystère, n’a d’autre religion qu’une gaieté et une bienveillance universelles.

Cette entière différence dans le point de départ fait que Lucien est bien moins éloigné des chrétiens que ne l’est Celse. Lui qui aurait mieux que personne le droit d’être sévère pour le surnaturel des nouveaux sectaires, car il n’admet aucun surnaturel, se montre, au contraire, par moments, assez indulgent pour eux. Comme les chrétiens, Lucien est un démolisseur du paganisme, un sujet résigné, mais non affectionné de Rome. Jamais, chez lui, une inquiétude patrio-

  1. Jupiter trag., 22, 53.
  2. L’Assemblée des dieux et les Dialogues des dieux.
  3. Démonax, surtout § 11. Lucien étant seul à parler de ce philosophe, on se demande si c’est là un portrait idéal ou un personnage qui a réellement existé. Comparez le Nigrinus. Il y a, du reste, des objections contre l’attribution du Démonax à Lucien.