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font admirer. Il en est de même dans l’intérieur des familles. Voici des cardeurs de laine, des cordonniers, des foulons, des gens de la dernière ignorance et tout à fait dénués d’éducation. Devant les maîtres, hommes d’expérience et de jugement, ils n’osent ouvrir la bouche ; mais surprennent-ils en particulier les enfants de la maison ou des femmes qui n’ont pas plus de raison qu’eux-mêmes, ils se mettent à débiter des merveilles. C’est eux seuls qu’il faut croire ; le père, les précepteurs, sont des fous qui ignorent le vrai bien et sont incapables de l’enseigner. Ces prôneurs savent seuls comment on doit vivre ; les enfants se trouveront bien de les suivre, et, par eux, le bonheur viendra sur toute la famille. Si, pendant qu’ils pérorent, survient quelque personne sérieuse, un des précepteurs ou le père lui-même, les plus timides se taisent ; les effrontés ne laissent pas d’exciter les enfants à secouer le joug, insinuant à mi-voix qu’ils ne veulent rien leur apprendre devant leur père ou leur précepteur, pour ne pas s’exposer à la brutalité de ces gens corrompus, qui les feraient châtier. Ceux qui tiennent à savoir la vérité n’ont qu’à planter là père et précepteurs, à venir avec les femmes et la marmaille dans le gynécée, ou dans l’échoppe du cordonnier, ou dans la boutique du foulon, afin d’y apprendre l’absolu. Voilà comment ils s’y prennent pour gagner des adeptes[1]… Quiconque est pécheur, quiconque est sans intelligence, quiconque est faible d’esprit, en un mot quiconque est misérable, qu’il approche, le royaume de Dieu est pour lui[2].


On conçoit combien un pareil renversement de

  1. Orig., III, 49, 50, 55.
  2. Ibid., III, 59.