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quoi traiter les aventures des autres de fables sans vraisemblance, comme si l’issue de votre tragédie avait bien meilleur air et était plus croyable, avec le cri que votre Jésus jeta du haut du poteau en expirant, le tremblement de terre et les ténèbres ? Vivant, il n’avait rien pu faire pour lui-même ; mort, dites-vous, il ressuscita et montra les marques de son supplice, les trous de ses mains. Mais qui a vu tout cela ? Une femme à l’esprit malade, comme vous l’avouez vous-mêmes[1], ou tout autre endiablé de la même sorte, soit que le prétendu témoin ait rêvé ce que lui suggérait son esprit troublé, soit que son imagination abusée ait donné un corps à ses désirs, ce qui arrive si souvent, soit plutôt qu’il ait voulu frapper l’esprit des hommes par un récit merveilleux et, à l’aide de cette imposture, fournir matière aux charlatans… À son tombeau se présentent, ceux-ci disent un ange, ceux-là disent deux anges, pour annoncer aux femmes qu’il est ressuscité ; car le fils de Dieu, à ce qu’il paraît, n’avait pas la force d’ouvrir seul son tombeau ; il avait besoin que quelqu’un vînt déplacer la pierre… Si Jésus voulait faire éclater réellement sa vertu divine, il fallait qu’il se montrât à ses ennemis, au juge qui l’avait condamné, à tout le monde. Car, puisqu’il était mort et, de plus, dieu, comme vous le prétendez, il n’avait plus rien à craindre de personne ; et ce n’était pas apparemment pour qu’il restât caché qu’il avait été envoyé. Au besoin même, pour mettre sa divinité en pleine lumière, il aurait dû disparaître tout d’un coup de dessus la croix… De son vivant, il se prodigue ; mort, il ne se fait voir en cachette qu’à une femmelette et à des comparses. Son supplice a eu d’innombrables témoins ;

  1. Πάροιστρος. Comp. Marc, xvi, 9.