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pour ne perdre aucune des parures que chaque supplice devait graver sur sa chair. Ce fut d’abord une flagellation cruelle, qui déchira ses épaules. Puis on l’exposa aux bêtes, qui se contentèrent de la mordre et de la traîner[1]. L’odieuse chaise brûlante ne lui fut pas épargnée. Enfin on l’enferma dans un filet, et on l’exposa à un taureau furieux. Cet animal, la saisissant avec ses cornes, la lança plusieurs fois en l’air et la laissa retomber lourdement[2]. Mais la malheureuse ne sentait plus rien[3] ; elle jouissait déjà de la félicité suprême, perdue qu’elle était dans ses entretiens intérieurs avec Christ. Il fallut l’achever, comme les autres condamnés. La foule finit par être frappée d’admiration. En s’écoulant, elle ne parlait que de la pauvre esclave. « Vrai, se disaient les Gaulois, jamais, dans nos pays, on n’avait vu une femme tant souffrir ! »

  1. Dans cette région des Gaules, il devait être difficile de se procurer des lions. Aussi aucun des martyrs n’est-il dévoré par les bêtes ; ce qui ne contribua pas peu à confirmer les chrétiens dans leurs idées sur les supplices destructeurs du corps. Minucius Félix, 11. Comparez ce qui a lieu pour Polycarpe, l’Église chrét., p. 460, et la légende de sainte Thècle.
  2. Martial, Spect., xxii (cf. xix) : Jactat ut impositas taurus in astra pilas.
  3. Μηδὲ αἴσθησιν ἔτι τῶν συμϐαινόντων ἔχουσα. Comparez sainte Perpétue, Passio, § 20.