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membres, et rendu à son corps l’attitude humaine qu’il avait perdue.

Maturus, qui n’était encore que néophyte, se comporta aussi en vaillant soldat du Christ. Quant à la servante Blandine, elle montra qu’une révolution était accomplie. Blandine[1] appartenait à une dame chrétienne, qui sans doute l’avait initiée à la foi du Christ. Le sentiment de sa bassesse sociale ne faisait que l’exciter à égaler ses maîtres. La vraie émancipation de l’esclave, l’émancipation par l’héroïsme, fut en grande partie son ouvrage. L’esclave païen est supposé par essence méchant, immoral. Quelle meilleure manière de le réhabiliter et de l’affranchir que de le montrer capable des mêmes vertus et des mêmes sacrifices que l’homme libre ! Comment traiter avec dédain ces femmes que l’on avait vues dans l’amphithéâtre plus sublimes encore que leurs maîtresses ? La bonne servante lyonnaise avait entendu dire que les jugements de Dieu sont le renversement des apparences humaines, que Dieu se plaît souvent à choisir ce qu’il y a de plus humble, de plus laid et de plus méprisé pour confondre ce qui paraît beau et fort. Se pénétrant de son rôle, elle appelait les

  1. Ce petit nom d’esclave, emprunté au latin, ne permet aucune induction. Blandine a pu être Phrygienne ou Smyrniote, aussi bien qu’Allobroge ou Ségusiave.