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Cela devenait une gageure, et très peu cédaient. Il est prouvé que l’amour-propre suffit souvent pour inspirer un héroïsme apparent, quand la publicité vient s’y joindre. Les acteurs païens subissaient sans broncher d’atroces supplices ; les gladiateurs faisaient bonne figure devant la mort évidente, pour ne pas avouer une faiblesse sous les yeux d’une foule assemblée. Ce qui ailleurs était vanité, transporté au sein d’un petit groupe d’hommes et de femmes incarcérés ensemble, devenait pieuse ivresse et joie sensible. L’idée que Christ souffrait en eux[1] les remplissait d’orgueil et, des plus faibles créatures, faisait des espèces d’êtres surnaturels.

Le diacre Sanctus, de Vienne, brilla entre les plus courageux. Comme les païens le savaient dépositaire des secrets de l’Église, ils cherchaient à tirer de lui quelque parole qui donnât une base aux accusations infâmes intentées contre la communauté. Ils ne réussirent même pas à lui faire dire son nom, ni le nom du peuple, ni le nom de la ville dont il était originaire, ni s’il était libre ou esclave. À tout ce qu’on lui demandait, il répondait en latin : Christianus sum. C’étaient là son nom, sa patrie, sa race, son tout. Les païens ne purent tirer de sa bouche d’autre

  1. § 23. Comparez Passion de sainte Perpétue, § 15 (Acta sinc., p. 101).