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que ces invitations doucereuses et médiocrement sincères soient entendues. Mais le seul fait qu’elles se présentent sous Marc-Aurèle à l’esprit d’un des chefs les plus éclairés de l’Église est un pronostic de l’avenir. Le christianisme et l’empire se réconcilieront ; ils sont faits l’un pour l’autre. L’ombre de Méliton tressaillira de joie, quand l’empire se fera chrétien et que l’empereur prendra en main la cause « de la vérité ».

Ainsi l’Église faisait déjà plus d’un pas vers l’empire. Par politesse sans doute, mais aussi par une conséquence très juste de ses principes, Méliton n’admet pas qu’un empereur puisse donner un ordre injuste. On était bien aise de laisser croire que certains empereurs n’avaient pas été absolument hostiles au christianisme ; on aimait à raconter que Tibère avait proposé au Sénat de mettre Jésus au rang des dieux ; c’était le Sénat qui n’avait pas voulu[1]. La préférence décidée que le christianisme témoignera pour le pouvoir, quand il en pourra espérer les faveurs, se laisse deviner par avance. On s’efforçait de montrer, contre toute vérité, qu’Adrien et Antonin avaient cherché à réparer le mal causé par Néron et Domitien[2]. Tertullien et sa génération diront la même

  1. Tertullien, Apol., 5.
  2. Voir l’Égl. chrét., p. 43, 301-302.