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souverain que par la médiocre biographie de Jules Capitolin, écrite cent ans après sa mort, grâce à l’admiration que lui avait vouée l’empereur Dioclétien.

Heureusement la petite cassette qui renfermait les pensées des bords du Gran et la philosophie de Carnonte fut sauvée. Il en sortit ce livre incomparable, où Épictète était surpassé, ce manuel de la vie résignée, cet Évangile de ceux qui ne croient pas au surnaturel, qui n’a pu être bien compris que de nos jours. Véritable Évangile éternel, le livre des Pensées ne vieillira jamais ; car il n’affirme aucun dogme. L’Évangile a vieilli en certaines parties ; la science ne permet plus d’admettre la naïve conception du surnaturel qui en fait la base. Le surnaturel n’est dans les Pensées qu’une petite tache insignifiante, qui n’atteint pas la merveilleuse beauté du fond. La science pourrait détruire Dieu et l’âme, que le livre des Pensées resterait jeune encore de vie et de vérité. La religion de Marc-Aurèle, comme le fut par moments celle de Jésus, est la religion absolue, celle qui résulte du simple fait d’une haute conscience morale placée en face de l’univers. Elle n’est ni d’une race ni d’un pays. Aucune révolution, aucun progrès, aucune découverte ne pourront la changer.