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celui de ses maîtres eux-mêmes : habits simples et modestes, barbe peu soignée, corps exténué et réduit à rien, yeux battus par le travail[1]. Aucune étude, même celle de la peinture, ne lui resta étrangère[2]. Le grec lui devint familier ; quand il réfléchissait aux sujets philosophiques, il pensait en cette langue ; mais son esprit solide voyait la fadaise des exercices littéraires où l’éducation hellénique se perdait[3] ; son style grec, bien que correct, a quelque chose d’artificiel qui sent le thème. La morale était pour lui le dernier mot de l’existence, et il y portait une constante application.

Comment ces pédagogues respectables, mais un peu poseurs, réussirent-ils à former un tel homme ? Voilà ce qu’on se demande avec quelque surprise. À en juger d’après les analogies ordinaires, il y avait toute apparence qu’une éducation ainsi surchauffée tournerait au plus mal. C’est qu’à vrai dire, au-dessus de ces maîtres appelés de tous les coins du monde, Marc eut un maître unique, qu’il révéra par-dessus tout ; ce fut Antonin. La valeur morale de l’homme est en proportion de sa faculté d’ad-

    p. 5 et suiv. ; Eusèbe, Chron., p.168, 169, Schœne ; Lucien, Démonax, 31 ; Ælius Arist., Éloge d’Alex., Opp., I, p.134, Dindorf.

  1. Julien, Cæs., p.333, Spanh. ; Dion Cass., LXXI, 1.
  2. Capit., Ant. Phil., 4.
  3. Pensées, I, 7, 17.