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sous lesquelles il cherche à se représenter la vanité de toute chose[1], ces preuves souvent naïves de l’universelle frivolité, témoignent des combats qu’il eut à livrer pour éteindre en lui tout désir. Parfois il en résulte quelque chose d’âpre et de triste ; la lecture de Marc-Aurèle fortifie, mais ne console pas ; elle laisse dans l’âme un vide à la fois délicieux et cruel, qu’on n’échangerait pas contre la pleine satisfaction. L’humilité, le renoncement, la sévérité pour soi-même n’ont jamais été poussés plus loin. La gloire, cette dernière illusion des grandes âmes, est réduite à néant. Il faut faire le bien sans s’inquiéter si personne le saura. Il voit que l’histoire parlera de lui ; mais de combien d’indignes ne parle-t-elle pas[2] ? L’absolue mortification où il était arrivé avait éteint en lui jusqu’à la dernière fibre de l’amour-propre. On peut même dire que cet excès de vertu lui a nui. Les historiens l’ont pris au mot. Peu de grands règnes ont été plus maltraités par l’historiographie. Marius Maximus et Dion Cassius parlèrent de Marc avec amour, mais sans talent ; leurs ouvrages, d’ailleurs, ne nous sont parvenus qu’en lambeaux, et nous ne connaissons la vie de l’illustre

  1. Voir surtout Pensées, VI, 13, et aussi VIII, 24, 37 ; IX, 36 ; XI, 1.
  2. Pensées, IX, 29.