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contre-partie l’homme qui s’est sacrifié pour le bien ou le vrai doit le quitter content et absoudre les dieux, cela est trop naïf. Non, il a le droit de les blasphémer ! Car enfin, pourquoi avoir ainsi abusé de sa crédulité ? Pourquoi avoir mis en lui des instincts trompeurs, dont il a été la dupe honnête ? Pourquoi cette prime accordée à l’homme frivole ou méchant ? C’est donc celui-ci qui ne se trompe pas, qui est l’homme avisé ?… Mais alors maudits soient les dieux qui placent si mal leurs préférences ! Je veux que l’avenir soit une énigme ; mais, s’il n’y a pas d’avenir, ce monde est un affreux guet-apens. Remarquez, en effet, que notre souhait n’est pas celui du vulgaire grossier. Ce que nous voulons, ce n’est pas de voir le châtiment du coupable, ni de toucher les intérêts de notre vertu. Ce que nous voulons n’a rien d’égoïste : c’est simplement d’être, de rester en rapport avec la lumière, de continuer notre pensée commencée, d’en savoir davantage, de jouir un jour de cette vérité que nous cherchons avec tant de travail, de voir le triomphe du bien que nous avons aimé. Rien de plus légitime. Le digne empereur, du reste, le sentait bien. « Quoi ! la lumière d’une lampe brille jusqu’au moment où elle s’éteint, et ne perd rien de son éclat ; et la vérité, la justice, la tempérance, qui sont en toi, s’éteindraient avec