Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/282

Cette page a été validée par deux contributeurs.

spéculative ; sa théologie est tout à fait contradictoire ; il n’a aucune idée arrêtée sur l’âme et l’immortalité. Comment fut-il profondément moral sans les croyances qu’on regarde aujourd’hui comme les fondements de la morale ? Comment fut-il éminemment religieux sans avoir professé aucun des dogmes de ce qu’on appelle la religion naturelle ? C’est ce qu’il importe de rechercher.

Les doutes qui, au point de vue de la raison spéculative, planent sur les vérités de la religion naturelle ne sont pas, comme Kant l’a admirablement montré, des doutes accidentels, susceptibles d’être levés, tenant, ainsi qu’on se l’imagine parfois, à certains états de l’esprit humain. Ces doutes sont inhérents à la nature même de ces vérités et l’on peut dire sans paradoxe que, s’ils étaient levés, les vérités auxquelles ils s’attaquent disparaîtraient du même coup. Supposons, en effet, une preuve directe, positive, évidente pour tous, des peines et des récompenses futures ; où sera le mérite de faire le bien ? Il n’y aurait que des fous qui, de gaieté de cœur, courraient à leur damnation. Une foule d’âmes basses feraient leur salut cartes sur table ; elles forceraient en quelque sorte la main de la Divinité. Qui ne voit que, dans un tel système, il n’y a plus ni morale ni religion ? Dans l’ordre moral et religieux, il est indispensable de