Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/281

Cette page a été validée par deux contributeurs.

interprété dans un sens physique, à la façon des stoïciens, et une sorte de panthéisme cosmique. Il ne tient pas plus à l’une des hypothèses qu’à l’autre, et il se sert indifféremment des trois vocabulaires, déiste, polythéiste, panthéiste. Ses considérations sont toujours à deux faces, selon que Dieu et l’âme ont ou n’ont pas de réalité. « Quitter la société des hommes n’a rien de bien terrible, s’il y a des dieux ; et, s’il n’y a pas de dieux, ou qu’ils ne s’occupent pas des choses humaines, que m’importe de vivre dans un monde vide de dieux ou vide de providence ? Mais certes, il y a des dieux, et ils ont à cœur les choses humaines[1]. »

C’est le dilemme que nous faisons à chaque heure ; car, si c’est le matérialisme le plus complet qui a raison, nous qui aurons cru au vrai et au bien, nous ne serons pas plus dupés que les autres. Si l’idéalisme a raison, nous aurons été les vrais sages, et nous l’aurons été de la seule façon qui nous convienne, c’est-à-dire sans nulle attente intéressée, sans avoir compté sur une rémunération.

Marc-Aurèle n’est donc pas un libre penseur ; c’est même à peine un philosophe, dans le sens spécial du mot. Comme Jésus, il n’a pas de philosophie

  1. Pensées, II, 11 ; cf. IV, 3 ; VI, 10 ; VII, 32, 50 ; VIII, 17 ; IX, 28, 39, 40 ; XII, 24.