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fidèle, il y aura le religieux. Le royaume de Dieu, tel que Jésus l’a prêché, étant impossible dans le monde tel qu’il est, et le monde s’obstinant à ne pas changer, que faire alors, si ce n’est de fonder de petits royaumes de Dieu, sortes d’îlots dans un océan irrémédiablement pervers, où l’application de l’Évangile se fasse à la lettre et où l’on ignore cette distinction des préceptes et des conseils qui sert, dans l’Église mondaine, d’échappatoire pour esquiver les impossibilités ? La vie religieuse est en quelque sorte de nécessité logique dans le christianisme. Un grand organisme trouve le moyen de développer tout ce qui existe en germe dans son sein. L’idéal de perfection qui fait le fond des prédications galiléennes de Jésus, et que toujours quelques vrais disciples relèveront obstinément, ne peut exister dans le monde ; il fallait donc créer, pour que cet idéal fût réalisable, des mondes fermés, des monastères, où la pauvreté, l’abnégation, la surveillance et la correction réciproques, l’obéissance et la chasteté fussent rigoureusement pratiquées. L’Évangile est, en réalité, plutôt l’Enchiridion d’un couvent qu’un code de morale ; il est la règle essentielle de tout ordre monastique ; le parfait chrétien est un moine ; le moine est un chrétien conséquent ; le couvent est le lieu où l’Évangile, partout ailleurs utopie, devient réalité. Le livre qui