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tion actuelle n’est pas plus déshéritée que les autres. Le Paraclet, représentant du Christ, n’est-il pas une source éternelle de révélation[1] ? » D’innombrables petits livres répandaient au loin ces chimères. Les bonnes gens qui les lisaient trouvaient cela plus beau que la Bible. Les nouveaux exercices leur paraissaient supérieurs aux charismes des apôtres, et plusieurs osaient dire que quelque chose de plus grand que Jésus était apparu[2]. Toute la Phrygie en devint folle à la lettre ; la vie ecclésiastique ordinaire en fut comme suspendue.

Une vie de haut ascétisme était la conséquence de cette foi brûlante en la venue prochaine de Dieu sur la terre. Les prières des saints de Phrygie étaient continuelles. Ils y portaient de l’affectation, un air triste et une sorte de bigoterie. Leur habitude d’avoir en priant le bout de l’index appuyé contre le nez, pour se donner l’air contrit, leur valut le sobriquet de « nez chevillés » (en phrygien, tascodrugites)[3]. Jeûnes, austérités, xérophagie rigoureuse, abstinence de vin, réprobation absolue du mariage, telle était la morale que devaient logiquement s’im-

  1. Actes des saintes Perpétue et Félicité (la préface surtout), traités montanistes de Tertullien, presque à chaque page.
  2. Philosoph. VIII, 19.
  3. Épiph., xlviii, 14. Cf. Théodoret, Hær. fab., I, 9 et 10 ; saint Jérôme, In Gal., II, proœm.