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Ne voit-on pas encore de nos jours, dit-il, les images des Césars et de leur famille plus respectées que celles des anciens dieux, et ces dieux eux-mêmes payer tribut à César comme à un dieu plus grand qu’eux[1] ; et, vraiment, si on punit de mort les contempteurs de dieux, on dirait que c’est parce qu’ils privent le fisc d’un revenu. Il y a même des pays où les adorateurs de certains sanctuaires paient au Trésor une somme réglée… Le grand malheur du monde est que ceux qui adorent des dieux inanimés, et de ce nombre sont la plupart des sages, soit par amour du lucre, soit par amour de la vaine gloire, soit par le goût du pouvoir, non seulement les adorent, mais, de plus, contraignent les simples d’esprit à les adorer…

Tel prince dira peut-être[2] : « Je ne suis pas libre de faire le bien. Étant chef, je suis obligé de me conformer à la volonté du grand nombre. » Celui qui parle ainsi est vraiment digne de risée. Pourquoi le souverain n’aurait-il pas l’initiative de tout ce qui est bien, ne pousserait-il pas le peuple qui lui est soumis à bien faire, à connaître Dieu selon la vérité, et n’offrirait-il pas en lui l’exemple de toutes les bonnes actions ? Quoi de plus convenable ? C’est chose absurde qu’un prince qui se comporte mal, et qui néanmoins juge, condamne ceux qui commettent des actes pervers. Pour moi, je pense qu’un État ne saurait être bien gouverné que quand le souverain, connaissant et craignant le Dieu véritable, juge toute chose en homme qui sait qu’il sera jugé à son tour devant Dieu, et que les sujets, craignant Dieu de leur côté, se font scrupule de se donner

  1. Allusion à quelque redevance que le fisc prélevait sur les biens des temples. Cf. Théophile, Ad Autol., 10, 11 ; Tertullien, Ad nat., 10 ; Apol., 28, 32.
  2. Cureton, p. 48 et suiv.