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brait sa fête comme l’apothéose d’un dieu, par des sacrifices, des festins, des hymnes. Son livre « Sur la justice » fut très vanté ; ce qui nous en a été conservé est d’une dialectique sophistique et serrée, qui rappelle Proudhon et les socialistes de nos jours. Dieu, disait Épiphane, est juste et bon ; car la nature est égalitaire[1]. La lumière est égale pour tous ; le ciel, le même pour tous ; le soleil ne distingue ni pauvres ni riches, ni mâles ni femelles, ni hommes libres ni esclaves. Personne ne peut prendre à l’autre sa part de soleil pour doubler la sienne ; or, c’est le soleil qui fait pousser la nourriture de tous. La nature, en d’autres termes, offre à tous une égale matière de bonheur. Ce sont les lois humaines qui, violant les lois divines, ont introduit le mal, la distinction du mien et du tien, l’inégalité, l’antagonisme. Appliquant ces principes au mariage, Épiphane en niait la justice et la nécessité. Les désirs que nous tenons de la nature sont nos droits, et aucune institution n’y saurait mettre des limites.

Épiphane, à vrai dire, est moins un chrétien qu’un utopiste. L’idée de la justice absolue l’égare. En face du monde inférieur, il rêve un monde parfait, vrai monde de Dieu, un monde fondé sur la

  1. Fragment dans Clément d’Alex., Strom., III, 2.