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La manie des explications démonologiques est poussée chez Tatien jusqu’au comble de l’absurdité. Parmi tous les apologistes, c’est le plus dénué d’esprit philosophique. Mais sa vigoureuse attaque contre le paganisme lui fit beaucoup pardonner. Le discours contre les Grecs fut fort loué[1], même par des hommes qui, comme Clément d’Alexandrie, étaient loin d’avoir de la haine contre la Grèce ; l’érudition charlatanesque que l’auteur avait mise dans son ouvrage fit école. Ælius Aristide semble y faire allusion, quand, prenant exactement le contre-pied de la pensée de notre auteur, il présente les juifs comme une triste race qui n’a rien créé, étrangère aux belles-lettres et à la philosophie, ne sachant que dénigrer les gloires helléniques, ne s’arrogeant le nom de « philosophes » que par un renversement complet du sens des mots[2].

Les pesants paradoxes de Tatien contre la civilisation ancienne devaient néanmoins triompher. Cette civilisation avait eu, en effet, un grand tort, c’était de négliger l’éducation intellectuelle du peuple. Le peuple, privé d’instruction primaire, se trouva livré à toutes les surprises de l’ignorance et crut toutes

  1. Clém. d’Alex., Strom., I, 21 ; Origène, Contre Celse, I, 16 ; Eusèbe, IV, xxix, 7 ; saint Jérôme, De viris ill., 29.
  2. Ælius Aristide, Opp., II, p. 402 et suiv., Dindorf.