Page:Renan - Ma soeur Henriette, Calmann-Levy, 1895.djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rudes expériences une précoce maturité. Dès l’âge de douze ans, c’était une personne sérieuse, fatiguée de soucis, obsédée de pensées graves et de sombres pressentiments.

Au retour d’un de ses longs voyages dans nos mers froides et tristes, mon père eut un dernier rayon de joie : je naquis en février 1823. La venue de ce petit frère fut pour ma sœur une grande consolation. Elle s’attacha à moi de toute la force d’un cœur timide et tendre, qui a besoin d’aimer. Je me rappelle encore les petites tyrannies que j’exerçais sur elle, et contre lesquelles elle ne se révolta jamais. Quand elle sortait parée pour aller aux réunions des jeunes demoiselles de son âge, je m’attachais à sa robe, je la suppliais de revenir ; alors elle rentrait, tirait ses habits de fête et restait avec moi. Un jour, par plaisanterie, elle me menaça, si je n’étais point sage, de mourir ; et elle fit la morte, en effet,