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tion de ta lettre. Enfin, ma chère Henriette, je la tiens et je suis content ; je me hâte d’y répondre et vais consacrer une de nos longues après-midis à m’entretenir avec toi. Qu’il y a longtemps que je n’ai eu ce plaisir !

Encore un éloignement, ma chère Henriette. Vienne était encore trop rapproché de nous ; il fallait que l’Europe entière nous séparât. Pour le coup, j’espère que c’est fini, et que tu vas t’arrêter au moins en Pologne. Il ne fallait rien moins que la Russie pour me rassurer et mettre des bornes à tes voyages. Mon imagination s’effraie quand je songe aux espaces immenses qui nous séparent. Qui nous eût dit, quand nous étions au fond de la Bretagne, que dans quelques années tu eusses été jetée au fond de la Pologne, celui-là nous eût paru un beau rêveur. Il eût dit vrai pourtant. Singulière existence ! Je ne puis te dire toutes les réflexions que cela me fit faire, surtout quand je rapprochais les temps jusqu’où pouvaient se porter mes souvenirs : celui où nous cachions notre misère à Lannion, celui, non moins malheureux, où nous languissions à Tréguier et où la seule pensée