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au fond le même mal que celui qui tuait ma pauvre sœur. Le médecin du Caton, tout habile qu’il était, ne sut pas le reconnaître. Ces fièvres pernicieuses se présentent en Syrie avec des caractères que les médecins qui ont résidé dans le pays peuvent seuls discerner. Le sulfate de quinine donné à très haute dose nous eût peut-être à cette heure sauvés tous les deux. Le soir, je sentis ma tête s’échapper. J’en fis part au médecin, qui, complètement aveuglé sur la nature de notre mal, n’y attacha pas d’importance et nous quitta. J’eus alors en une vision terrible l’appréhension de ce qui trois jours après allait devenir une affreuse réalité. J’entrevis avec frisson les dangers que nous courions si nous tombions seuls, sans connaissance, entre les mains de bonnes gens, dénués de toutes lumières, dominés par les idées les plus folles en fait de médecine. Je dis adieu a la vie avec un sentiment plein d’angoisses : La perte de mes papiers, et en particulier de ma Vie de Jésus, m’apparut comme certaine. Notre nuit fut affreuse ; il semble cependant que celle de ma pauvre sœur fut moins mauvaise que la mienne, car je me