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hissait par des névralgies violentes. Deux ou trois fois, en plein désert, elle tomba dans des états qui nous épouvantèrent. Son courage nous faisait illusion. Elle avait embrassé mon plan de recherches avec tant de passion que rien ne put la séparer de moi avant qu’il fût parfaitement accompli.

Ce voyage fut, du reste, pour elle, la source de jouissances très vives. Ce fut, à vrai dire, sa seule année sans larmes et presque la seule récompense de sa vie. La fraîcheur de ses impressions était entière ; elle s’abandonnait aux sensations de ce monde nouveau avec la joie naïve d’un enfant. Rien n’égale, en automne et au printemps, le charme de la Syrie. Un air embaumé pénètre tout et semble communiquer à la vie quelque chose de sa légèreté. Les plus belles fleurs, surtout d’admirables cyclamens, sortent en touffes de chaque fente de rocher ; dans les plaines du côté d’Amrit et de Tortose, le pied des chevaux déchire des tapis épais composés des plus belles fleurs de nos parterres. Les eaux qui coulent de la montagne forment avec l’âpre soleil qui les dévore un contraste plein d’enivrements.